Lev Landau (URSS, 1908-1968, Nobel en 1962 ) est sans doute le physicien russe le plus important du XXème siècle. Il a contribué de façon décisive à tant de domaines qu’il est difficile d’en faire la liste : physique quantique, magnétisme, transitions de phase, compréhension des métaux, plasma, électrodynamique quantique, neutrinos, etc. Il a en particulier proposé un modèle de la superfluidité de l’hélium qui lui vaudra, entre autre, le Nobel.
Bien qu’ils n’aient pas trouvé le mécanisme même à l’origine de la supraconductivité, découverte que l’on doit à Bardeen, Cooper et Schrieffer quelques années après, Landau et son collègue Ginzburg (URSS, 1916-2009, Nobel en 2003) proposent une approche « phénoménologique » de la supraconductivité. Ils proposent, inspirés par London, de décrire le supraconducteur comme une onde quantique. Et surtout, ils développent une théorie où ils supposent que l’état supraconducteur est plus ordonné que l’état non supraconducteur, et que c’est justement cette onde et son amplitude qui permettent de mesurer cet ordre. Landau et Ginzburg « devinent » quelles sont les deux équations que devrait suivre ce paramètre d’ordre, à partir de raisonnements énergétiques et thermodynamiques. Il ne s’agit pas de démonstrations à partir d’une loi fondamentale, mais plutôt d’intuitions qui les mènent aux bonnes équations. Une fois équipés de ces deux équations, les deux russes peuvent prédire le comportement d’un supraconducteur en température, l’effet qu’aura un champ magnétique sur celui-ci, la distance qu’il faut à l’ordre supraconducteur pour s’établir (on parle de longueur de cohérence), etc. On voit la puissance de leur approche, où, à partir d’intuition, et sans pour autant avoir compris le mécanisme à l’origine de la supraconductivité, les physiciens peuvent quand même développer une théorie qui produit des résultats nouveaux.
Ainsi, un de leurs jeunes collègues, Alexei Abrikosov (URSS, 1928-), utilise ces deux équations en 1952 et prévoit un comportement curieux : à des champs magnétiques suffisamment élevés, certains supraconducteurs devraient, selon son calcul, devenir de vrais gruyères magnétiques, le champ pouvant y pénétrer le long de petites colonnes appelées vortex, autour desquelles tourbillonnerait un supercourant électrique. Ces vortex devraient même s’organiser en un réseau triangulaire. Douze ans plus tard, les vortex seront observés expérimentalement, et ils constituent depuis un des ingrédients essentiels à toute compréhension et application de la supraconductivité. Ce sont ces vortex qui permettent de comprendre pourquoi un aimant qui lévite au dessus d’un supraconducteur semble comme accroché par celui-ci. Abrikosov et Ginzburg recevront en 2003 un Prix Nobel pour leurs travaux.