La découverte de la supraconductivité de MgB2 soulève le problème suivant : mais quelle est donc la nature de ce supraconducteur ? Sa température critique est proche de 40 K, ce qui est relativement élevé (plus élevé que la température critique du composé cuprate découvert par Bednorz et Müller en 1986) alors que sa composition chimique a plutôt tendance à le rapprocher des supraconducteurs conventionnels, puisqu’il ne contient ni oxygène ni cuivre. MgB2 semble se trouver dans une région intermédiaire entre les supraconducteurs conventionnels, qui sont bien compris, et les supraconducteurs à haute température critique, où subsistent encore beaucoup d’interrogations.
De par sa nouveauté et son éventuel potentiel industriel, MgB2 a excité la curiosité de nombreux chercheurs de par le monde : les sites Internet recensant les publications électroniques ont ainsi dénombré plusieurs centaines d’articles sur ce sujet quelques mois seulement après l’annonce de la découverte de sa supraconductivité. Ces sites ont d’ailleurs permis une circulation de l’information extrêmement rapide entre les différents laboratoires, créant un bouillonnement d’idées et permettant de progresser plus rapidement.
De fait, afin de pouvoir essayer de comprendre les supraconducteurs à haute température critique, les nombreuses équipes qui s’intéressent à la supraconductivité avaient développé des expériences et des outils théoriques de plus en plus performants. Devant le défi de ce nouveau composé si simple, et pourtant si vieux, la communauté scientifique a mobilisé ses forces ; en moins de deux ans, un consensus est apparu sur les mécanismes responsables de cette supraconductivité.
En effet, la structure de MgB2 est relativement simple, des plans hexagonaux de bores séparés par des atomes de magnésium alignés sur les centres des hexagones. Cette simplicité permet des études théoriques et numériques fiables. Elles ont mis en évidence l’existence de deux familles d’électrons dans ce composé, deux familles avec très peu d’échanges entre elles, ce qui est très inhabituel dans les composés métalliques. Ce modèle a reçu le nom de « modèle à deux bandes ». L’idée d’un modèle à deux bandes est en fait une idée ancienne qui a été proposée très tôt après la formulation du modèle BCS. Toutefois l’effet d’une deuxième bande était alors considéré comme négligeable sur les mesures, car il semblait impossible que deux bandes aux propriétés supraconductrices très différentes puissent coexister.
L’originalité de MgB2 est de constituer justement un système où ces deux familles comportent à peu près la même quantité d’électrons, mais avec des propriétés nettement différentes ; l’une des famille est constituée d’électrons qui sont localisés dans les plans de bores, alors que les électrons de l’autre famille sont mobiles dans toutes les directions. Les électrons dans les plans de bores sont en forte interaction avec les vibrations des atomes de bore; c’est à cause de ces interactions si particulières que le mécanisme standard de création des paires de Cooper permet d’expliquer l’apparition de la supraconductivité à des températures si élevées pour la théorie BCS. L’apparition de la supraconductivité dans cette famille d’électrons va entraîner la supraconductivité des autres électrons un peu malgré eux, car ces derniers n’ont aucun couplage particulier.
Ce modèle à deux bandes est apparu très rapidement, et il a rapidement reçu des confirmations expérimentales. En effet, diverses techniques expérimentales ont pu mettre en évidence la présence de ces deux familles d’électrons, et mettre en évidence leurs propriétés : mesures de chaleur spécifique, de conductivité thermique, études menées par des microscopes à effet tunnel… En moins de deux ans, ce modèle s’est imposé tant les indications expérimentales et théoriques concordaient.
Le comportement de ce composé en présence d’un champ magnétique est également original : en effet les deux familles d’électrons ont un comportement différent face à l’application d’un champ magnétique. La famille des électrons favorisant l’apparition de la supraconductivité permettent l’existence de vortex, des petites colonnes où le champ pénètre, au-delà d’une valeur critique (on parle de type II).
L’existence de ces vortex est imposée aux électrons de la seconde bandes, alors que ces derniers seraient plutôt de type I c’est-à-dire qu’il ne devrait pas y avoir de vortex. Un compromis complexe s’installe entre les deux familles ; alors que dans un supraconducteur de type II les vortex se repoussent toujours, dans MgB2 les vortex se regroupent en amas quand le champ magnétique est suffisamment faible. On parle alors d’un supraconducteur de type « 1,5 », un terme inventé pour la circonstance pour désigner ce comportement intermédiaire entre type I et II... (voir la figure suivante pour un exemple et l’article en anglais correspondant ).
Si MgB2 est un composé unique, l’idée que deux familles puissent coexister avec des propriétés très différentes a trouvée d’autres exemples, le plus frappant étant les supraconducteurs à base d’arsenic, les pnictures.
Puisque la nature de la supraconductivité dans le composé MgB2 ne fait plus débat, de nombreux groupes se sont tournés vers d’autres problématiques. Néanmoins MgB2 reste un sujet d’étude important pour son potentiel au niveau des applications. En effet il cumule les avantages d’une température critique élevée et d’une métallurgie bien plus simple que les cuprates.
Quelques liens :
Une première réaction à la découverte de la supraconductivité (anglais) :
http://www.fis.unipr.it/news_fisica/download/cava.pdf
Les deux premières années de recherche, marquées par l’excitation des physiciens :
http://www.iitap.iastate.edu/htcu/39K.html (anglais)
un article publié dans le journal La Recherche n°369 - novembre, Le premier supraconducteur double :
http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=4347